Ma cordillière imaginaire

« J’ai marché dans la brume pendant des jours, des semaines, peut-être des mois. La lumière peinait à traverser. J’ai eu froid, peur, parfois j’étais désolé. La lourdeur des jours m’épuisait, j’étais au bout de mes forces et rien n’arrivait. J’ai décidé de changer de direction, prendre un chemin, celui de la technique: fabriquer un outil qui me sortirait de l’état dans lequel je me trouvais. J’ai donc fabriqué un nouveau 3°OEIL, pour percer le brouillard. Et là presque par accident, je me suis élevé au delà du marasme et ai découvert ma cordillère imaginaire. Un paysage mental constitué des
papiers sur lesquels j’ai griffonné les croquis de conception du 3°OEIL-D4. »

Avant de construire un nouvel appareil, je commence toujours par griffonner des croquis de conception pour envisager la mécanique et les assemblages des différents éléments de mes chambres photographiques. Cette fois, ma nouvelle chambre est née dans un contexte où le déplacement des personnes et l’idée du voyage relève presque du fantasme. La pandémie a remise en question notre rapport au déplacement et à l’idée du dépaysement. Ma « Cordillière Imaginaire » constitue la narration d’un voyage immobile dans un ailleurs supposé. C’est une réflexion sur le rapport et les relations qu’entretiennent l’espace et le temps dans nos déplacements. La crise internationale que nous vivons remet en question notre rapport au voyage : « cela en vaut-il la peine ? » . Et pousse de plus en plus les individus à la découverte des environnements proches. A ce titre, il me semble intéressant de mettre en relation cette série avec la réflexion de Gilles A. Tiberghien dans son essai Le principe de l’axololt et supplément où l’auteur tente de définir « le voyage contemporain » à partir des particularité de cette larve brésilienne. La série « Ma Cordillière Imaginaire » s’est construite accidentellement dans ce contexte. C’est un travail d’atelier. J’ai construit le paysage dans l’atelier plutôt que l’y ramener.
Je parle d’accident car tout s’est construit au fur et à mesure dans une certaine urgence. Ma volonté de départ était davantage de réaliser des tests du nouvel appareil et d’essayer d’exploiter mes dessins autrement. Une fois derrière le dépoli, mes papiers froissés posés sur l’établi, l’idée du paysage ne pouvait plus être ignorée.